Après la prise des Tuileries par la populace parisienne, assistée de nombreux gardes nationaux et des fédérés de Bretagne et de Marseille (10 août 1792), la France se trouva pendant quelques semaines dans un grand vide et une dangereuse situation. A Paris, le roi fut conduit dans la prison du Temple avec sa famille, considéré par l’opinion publique comme un traître et le responsable des nombreux patriotes tués dans l’assaut. Paradoxalement, bien que l’attaque eut été préparée quelques jours auparavant par certains chefs révolutionnaires, par ailleurs proches de la commune de Paris comme Fournier l’Américain, le Polonais Lazowski et quelques autres, la responsabilité des morts fut attribuée à Louis XVI et à ses gardes suisses. Cette habile propagande, la destitution du Roi, son enfermement sous la garde de la Commune de Paris et de l’Assemblée nationale, provoquèrent une situation inédite en France, cette dernière n’avait plus de roi à sa tête ni même par ailleurs d’exécutif. Dans ces conditions, l’excitation et la fermentation révolutionnaire étaient à leur comble, d’autant que sur les frontières de la France, les opérations militaires tournaient à la défaveur des armées françaises.
Déclenchée par une déclaration de guerre de la France (à l’époque de la monarchie constitutionnelle de Louis XVI) à l’Empereur Habsbourg (20 avril 1792), elle lança les guerres révolutionnaires, la France se retrouvant en guerre avec l’Autriche, la plupart des états du Saint-Empire Romain germanique et la Prusse considérée comme possédant la meilleure armée de son temps. Ces forces étaient appuyées par trois corps d’émigrés, accompagnant les Autrichiens et les Prussiens, à savoir au sud l’armée dite de Condé, au centre l’armée dite des Princes et au nord l’armée dite de Bourbon. Après quelques combats sans importance, perdus par les Français, les coalisés lancèrent une première offensive au centre, visant la prise de Verdun et de Longwy pour marcher ensuite sur Paris, puis une autre plus tardive en direction de Lille pour s’emparer de ce verrou dans le nord de la France. Le maréchal Brunswick, vieux général prussien à la réputation de stratège, avait publié un manifeste menaçant les Parisiens et les Français d’une exécution militaire de Paris si la famille royale était violentée (25 juillet), qui nous l’avons vu avait eu l’effet inverse, aussi lorsque les places de Longwy (23 août) puis de Verdun (2 septembre) furent prises presque sans défense et livrées par trahison, ouvrant la route des coalisés sur Paris, la panique et l’agitation révolutionnaire furent à leur paroxysme. Ces trahisons, la présence des émigrés dans les troupes d’invasion, les menaces de Brunswick, la rumeur d’un complot royaliste, avec bientôt ce qui fut appelé les chevaliers du poignard voilà tous les éléments qui déclenchèrent les massacres dit de Septembre (2-6 septembre). Une foule hystérique et armée de plusieurs milliers de femmes et d’hommes se jeta sur les prisons de Paris et sur les prisonniers censés être des ennemis de la Révolution et les massacra atrocement, parfois dans des conditions vraiment inhumaines. La force publique et le gouvernement provisoire furent incapables de stopper ces massacres et Paris fut hors de contrôle pendant quelques jours.
A Paris, la Commune ayant appris que la ville d’Orléans était en possession de prisonniers dont certains étaient suspectés d’avoir maille à partir avec les événements du 10 août et un complot royaliste, demanda le transfert des prisonniers à Paris. Le ministre de la Justice Danton ordonna leur transfert envoyant une forte escorte de plus de 1 000 gardes nationaux avec cinq canons. Ils arrivèrent à Orléans le 31 août et ayant chargé les prisonniers dans des chariots se mirent en route (1er septembre), la veille du début des massacres à Paris, mais déjà le ton était donné :
Le 31 août « douze ou quinze cents hommes armés, sortis de Paris, arrivent à Orléans avec cinq pièces de canons, sous le prétexte de garder les prisonniers d’état. Cette troupe de brigands était formée de Marseillais, Bretons, Gascons et Parisiens, sous la conduite d’un nommé Fournier l’Américain, et du Polonais Lajouski, savetier de son état. Léonard Bourdon et Prosper Dubail en étaient les commissaires ordonnateurs. L’évêque d’Orléans, de Jarente d’Orgeval, se trouvant à la croisée du logement d’un peintre, rue Bannier, est remarqué et indiqué à ces misérables, qui le forcèrent à se couvrir la tête d’un bonnet rouge, qu’ils lui jetèrent d’en bas. Un malheureux capitaine des fermes du département de la Charente-Inférieure, nommé Dulery, âgé de 48 ans, condamné à mort, comme criminel de lèse-nation, par jugement de la haute-cour nationale séant à Orléans, rendu à une heure du matin, est offert au spectacle du peuple d’Orléans et aux Parisiens, qui arrivaient dans la ville et pendant qu’ils étaient en bataille sur la place du Martroi. Lorsque le bourreau présenta la tête sanglante de cette victime, des cris de « Vive la Nation ! Vive les sans-culottes, à bas, à bas les aristocrates ! », se firent entendre, plusieurs brigands quittèrent leurs armes, et firent des rondes et des sauts autour de l’échafaud, en hurlant comme des forcenés un air populaire intitulé, Ah ! Ca Ira, ça ira, les aristocrates à la lanterne ! et celui Dansons la carmagnole, vive le son du canon ! On vit plusieurs de ces cannibales étant montés sur l’échafaud, prendre la tête du malheureux supplicié lui donner des soufflets, la faire tourner par les cheveux, et prêter leurs mains sanglantes aux valets du bourreau pour placer le corps mort dans le panier et le panier dans la charrette »1.
La commune de Versailles annonça à Paris, au ministre de l’Intérieur Roland, l’arrivée des prisonniers pour le 8 septembre. Le 9 septembre, cette troupe se heurta dans cette ville au carrefour dit des Quatre-bornes à une foule considérable. Les forces de Fournier ne bougèrent pas et furent débordées malgré la courageuse intervention du maire de Versailles, Hyacinthe Richaud qui tenta de leur sauver la vie au péril de la sienne, la populace massacra 44 des 52 prisonniers dans l’instant, parmi lesquels se trouvaient de Cossé-Brissac commandant de la garde constitutionnelle de Louis XVI, de Lessart ancien ministre de l’Intérieur et des Affaires étrangères, d’Abancourt ancien ministre de la guerre, de Castellane évêque du Gévaudan. Huit prisonniers réussirent à s’enfuir dans le tumulte, les cadavres des autres furent mutilés, leurs têtes tranchées et piquées sur les grilles du château de Versailles après une procession morbide et sanglante.
Portraits :
Charles-Xavier-Joseph de Francqueville d’Abancourt, né le 4 juillet 1758, à Douai dans le Nord, fils de Jacques-Joseph secrétaire du Roi et Garde des Sceaux et de Marie-Charlotte-Eulalie de Pollinchove. Il entra au service dans les mousquetaires de la garde du Roi (1773), sous-lieutenant dans le régiment de cavalerie ci-devant Mestre de Camp (1777), lieutenant en second (1779), capitaine en second (1784), capitaine en premier (1er mai 1788), lieutenant-colonel du 5e régiment de chasseurs à cheval, ministre de la Guerre (24 juillet), il fut immédiatement suspect de conspirer alors que la situation à la frontière se dégradait, il fut suspecté de ne pas avoir communiqué les informations sur la situation militaire réelle, fut dénoncé d’incurie, les volontaires n’étant pas nourri et habillé (6 août), puis de nouveau dénoncé (9 août), suspecté ensuite de projets comme l’organisation de la fuite du roi en Normandie, ou encore de ne pas avoir envoyé deux bataillons de Suisses combattre aux frontières, puis d’avoir été l’un des responsable de la défense du château des Tuileries qui coûta la vie en plus des défenseurs à de nombreux patriotes, décrété d’accusation (10 août), il fut arrêté et emprisonné à la prison de La Force, puis de là à Orléans. Le nouveau ministre Danton ordonna son retour avec 52 prisonniers à Paris, son convoi fut intercepté par une foule hostile qui le massacra ainsi que 43 autres malheureux (9 septembre 1792).
Léonard Bourdon, né en 1754, de petite noblesse, il fait des études au collège d’Harcourt, puis des études de droit. Il devint avocat (1779), secrétaire de Gabriel Sénac de Meilhan (1780), renonce à sa charge d’avocat (1785), autorisée à fonder une école expérimentale, la Société royale d’émulation pour l’éducation nationale (1788), élu à l’assemblée électorale de Paris (1789), membre de la commission chargée d’identifier les vainqueurs de la Bastille, membre du comité des subsistances de la Commune de Paris, membre du club des Jacobins (1790), présenta une adresse à l’Assemblée législative (1792), il participa à la journée du 10 août, envoyé en députation pour réclamer la destitution du Roi à l’assemblée. Il fut chargé de transférer les prisonniers d’Orléans à Versailles, où ils furent massacrés sans pitié et devînt procureur de la Commune de Paris (9 septembre). Le 1er septembre, un citoyen d’Orléans se présenta à l’hôtel du Dauphin rue Bannier, il s’agissait de Monsieur de La Place, procureur-syndic du district d’Orléans qui se plaignit auprès du citoyen Dubail, collègue de Léonard Bourdon de la « conduite furibonde de ce dernier et sur ses motions incendiaires au club » : « Citoyen, Léonard Bourdon est un révolutionnaire enragé, ses opinions sanguinaires me révoltent, et si le dégoût que j’éprouve dans sa compagnie n’était balancé par l’espérance de rendre sans effet ses décisions atroces, j’aurais déjà demandé mon rappel à l’Assemblée nationale »2. Réélu à l’assemblée électorale de Paris, puis à celle du Loiret, ses malversations furent dénoncées par la section parisienne du Finistère à l’Assemblée, accusations placardées dans Paris à mille exemplaires et l’accusant d’avoir dilapidé en fêtes et banquets de très grosses sommes d’argent, d’avoir participé au pillage des victimes du massacre de Versailles. Les pressions obligèrent l’assemblée électorale à le suspendre de ses fonctions (13 septembre). Elu à la Convention nationale dans l’Oise, malgré une confusion avec son homonyme Bourdon de l’Oise, il se tira de son mauvais pas et entra au Comité d’instruction publique. Il vota la mort de Louis XVI, fut envoyé en mission dans le Jura et la Côte d’Or pour la levée des 300 000 hommes (9 mars 1793), il repassa par Orléans ou dans des circonstances controversées, il fut agressé, roué de coups, blessé légèrement par une baïonnette après un repas en compagnie justement de l’évêque Jarente d’Orgeval. L’affaire fut montée en épingle, les versions se juxtaposèrent, celle de Bourdon fut remise en cause par ses ennemis, la municipalité d’Orléans fut mise en cause, finalement 26 gardes nationaux d’Orléans et négociants de la ville qui auraient participé à la l’agression furent inquiétés. Treize furent arrêtés (25 mars) et emprisonnés à la Conciergerie, jugés par le Tribunal révolutionnaire de Paris, neuf furent condamnés à mort et exécutés (13 juillet). Benoist des Hauts-Champs, citoyen d’Orléans tenta après l’agression de Bourdon de le convaincre de faire preuve de modération : « Plus je réfléchissais à l’affaire qui venait de se passer, plus j’étais effrayé des malheurs dont la ville était menacée. Je résolus de tenter un dernier effort, je rassemblai les hommes les plus amis de la justice et de l’humanité de tous ceux qui approchaient Léonard Bourdon, et à qui il témoignait quelque confiance, tels que Dulac, Vinson, Lacroix […] Nous fûmes admis auprès du représentant, nous y mîmes tout en œuvre, sentiment, justice, vérité, humanité, sensibilité, son intérêt propre, rien ne fut oublié, rien ne put réussir. Il se faisait alors panser le bras, la main appuyée sur mon épaule. Pendant qu’il bassinait sa blessure avec de l’huile et du vin que lui présentait son domestique, il prononça cet oracle terrible : Benoist, tu vois cette petite saignée, elle ne sera guérie que par une grande, je veux que 25 têtes orléanaises roulent sur l’échafaud, ou je perds mon nom, foi de Léonard Bourdon »3. Il écrivit à la Convention nationale une lettre qui fut remise au président et certainement lue en séance : « De nouveaus Paris au nombre de trente, m’ont traîné dans la cour de la maison commune, là, ils m’ont assailli à coups de crosse et de baïonnettes. Va rejoindre Lepelletier ! m’a dit un de ces scélérats, en me portant un coup dans le bas-ventre. Je ne dois la vie qu’à l’intrépidité du citoyen Dulac, qui m’a fait un rempart de son corps. J’arrivais avec peine à l’antichambre de la municipalité, là de nouveaux assassins m’attendaient. Ils voulurent fermer la porte, et j’eusse péri sous leurs coups, si d’un bras vigoureux et que le danger rendait plus fort encore, je n’eusse vaincu cet obstacle aussitôt qu’il me fut présenté. Aucun coups que j’ai reçu n’est dangereux, une redingote que je portais sur mon habit parait ceux que l’on me portait sur le corps, mon chapeau, à haute forme, fit qu’une baïonnette n’entra que de deux trois lignes dans ma tête. Je crains que demain le rassemblement des sans-culottes ne produise quelque mauvais effet pour les aristocrates, car si ces derniers me haïssent, l’amour des premiers me dédommage bien »4. Le 21 mars, Bourdon afin de quitter Orléans ordonna à la municipalité de lui fournir une berline à quatre chevaux que les citoyens Fougeron l’aîné et Boyer, officier municipaux de la ville furent chargés de lui mettre à disposition. Bourdon garda la voiture qui selon les officiers municipaux « il avait paru content ». La municipalité craignant les représailles tue le fait que la berline fut gardée par Bourdon et qu’elle dut s’acquitter de son prix au carrossier Sallé, d’Orléans, pour le prix de 1 600 livres. La Convention ordonna la suspension des officiers municipaux, du procureur de la commune et du maire d’Orléans (21 mars) qui le 22 durent quitter leurs fonctions, assignés à résidence dans leurs domiciles et en état d’arrestations avec un garde armé à leur porte. Dans les derniers jours de mai, le député Louvet de Paris, député du Loiret, dénonça à la Convention nationale les députés Collot d’Herbois et Laplanche pour avoir protégé à Orléans ceux qui prêchaient le meurtre et le pillage dans cette ville, il demanda la liberté provisoire pour les citoyens d’Orléans arrêtés par suite de l’affaire de « l’assassinat » de Léonard Bourdon. Son intervention, dans les fermentations politiques qui allaient conduire à la chute des Girondins dont Louvet était un membre n’eut aucun effet. Louvet dut s’enfuir et eut la chance de survivre aux poursuites pour obtenir son amnistie après le coup d’État du 9 Thermidor. Proche des hébertistes, Bourdon tenta par la suite d’intervenir en leur faveur mais fut un des conspirateurs du coup d’État de Thermidor. Il fut l’un des douze commissaires adjoints à Barras pour conduire la force militaire de la Convention nationale contre les partisans de Robespierre et de la Commune de Paris réfugiés à l’hôtel de ville. Ses positions avancées, les affaires d’Orléans pesant lourd, il fut dénoncé par Legendre à la Convention (1795), puis s’impliqua dans l’insurrection populaire du 12 germinal an III. Il fut décrété d’arrestation, arrêté, interné au fort de Ham, où il resta jusqu’au vote de l’amnistie générale décrétée par la Convention avant sa dissolution (octobre). Il fut encore dénoncé par Bernard de Saintes et la Commune de Dijon à la Convention pour ses bacchanales lors de son passage dans la ville. Ceci ne l’empêcha pas de devenir agent aux subsistances de Paris (novembre), emploi qu’il perdit (mai 1796), exclut par la suite comme député amnistié des places administratives. Il fut dénoncé par Boissy d’Anglas dans le Conseil des Cinq-Cents pour sa participation aux massacres des prisonniers orléanais à Versailles (1797). L’écrasement politique des Royalistes lui permit de retrouver un emploi comme agent du Directoire exécutif à Hambourg. Il fut rappelé (1798), présenta nombre de pétitions et de projets, devînt membre du Conseil d’administration de l’hôpital militaire de Marseille (1800) puis de Toulon (1803), directeur général des hôpitaux militaires, il suivit la Grande Armée en Prusse (1807). Il mourut obscurément, à Breslau, le 29 mai 1807.
Louis-Hercule-Timoléon de Cossé de Brissac, né le 14 février 1734, à Paris, fils de Jean-Paul-Timoléon grand panetier et gouverneur de paris, il entra au service dans le régiment de dragons ci-devant de Caraman, capitaine, puis guidon des gendarmes d’Aquitaine (1754), il servit durant la guerre de Sept Ans (1756-1763), mestre de camp au régiment de cavalerie ci-devant de Bourgogne (1759), capitaine des Cent-Suisses dans la garde du Roi, gouverneur de Paris à la place de son père (1775), il fut nommé sous la Révolution commandant de la garde constitutionnelle de Louis XVI (1791), jusqu’à sa dissolution (29 mai 1792), il était très impopulaire du fait de son immense richesse, il était de fait l’un des hommes les plus riches de France et suspecté de comploter. Lorsque le château des Tuileries fut pris d’assaut (10 août), il fut accusé d’avoir incité sa garde, dont quelques dizaines d’hommes avaient participé à la défense avec les Suisses, à la contre-révolution. Il fut arrêté à Orléans et emprisonné, puis fut transféré avec un convoi de 52 prisonniers vers Paris. Ils furent arrêtés par une foule vociférante, et il fut massacré ainsi que 43 autres prisonniers par cette populace déchaînée (9 septembre 1792).
Jean-Arnaud de Castellane, né le 11 décembre 1733, à Pont-Saint-Esprit, dans le Gard. Il fut destiné à la prêtrise, ordonné, puis vicaire-général de Reims, il fut élu évêque de Mende (1er novembre 1767), lui conférant selon la tradition le titre de comte du Gévaudan, ordonné à Versailles dans la chapelle du Roi (14 février 1768), il s’opposa à la Constitution civile du clergé et refusa de prêter le serment (1790), fut remplacer par un évêque ayant juré, mais il refusa de démissionner, contesta son successeur mais dut se réfugier au château de Chanac, la résidence d’été des évêques de Mende (1791). Il monta à Paris, erreur fatale puisque la capitale était une véritable bombe révolutionnaire. S’étant réfugié chez un neveu, il tenta de quitter la capitale et de se mettre à l’abri, mais fut arrêté à Dormans en Champagne, département de la Marne. Il fut conduit à Orléans mais fut bientôt compris dans le convoi de 52 prisonniers réclamé par Danton à Paris (et par l’opinion publique). Pris en charge par une troupe de gardes nationaux et de fédérés menés par Fournier l’Américain et d’autres chefs révolutionnaires de la rue, il fut massacré par une foule hostile en même temps que 43 autres victimes de son convoi intercepté à Versailles (9 septembre 1792).
Claude Fournier dit l’Américain, né à Auzon en 1745, fils d’un simple tisserand. Il devint domestique à 17 ans, s’embarqua ensuite pour Saint-Domingue afin d’y faire fortune. Il s’engagea comme dragon dans les milices bourgeoises où il servit jusqu’en 1783. Il fut employé comme intendant ou contremaître dans des domaines et fit l’acquisition d’une fabrique de tafia en 1782 à la Petite-Rivière, employant douze esclaves. En conflit avec ses voisins, les frères Guibert, au sujet d’un cours d’eau où Fournier écoulait ses vidanges de sa production, il fut par l’action desdits frères emprisonné (26 septembre 1783). Il dut s’acquitter d’une amende, fut libéré, les esclaves de son domaine dispersés, Fournier se résolut à vendre son bien qui fut toutefois incendié par ses voisins malveillants (1784). Ruiné, il revint en France pour obtenir justice et plaider sa cause devant le Conseil du Roi (1785), mais sa demande fut déboutée (1787), puis finalement par le tribunal de cassation de Paris, il en sortit vainqueur tardivement sous la Révolution (22 septembre 1792). Ses déconvenues le jetèrent facilement dans le mouvement révolutionnaire, il sera de toutes les journées, à la prise de la Bastille (14 juillet 1789), à la marche sur Versailles (5 et 6 octobre), au massacre du champ de Mars (17 juillet 1791), à la journée du 20 juin, puis à la prise des Tuileries (10 août). Le 9 septembre, il fut chargé d’escorter des prisonniers d’Orléans à Versailles qui donna lieu aux excès décrits par la municipalité d’Orléans, il semble bien y avoir participé lui-même, les prisonniers furent massacrés à Versailles, il fut soupçonné d’avoir participé avec ses hommes au pillage des effets des victimes. Denis Lottin écrit dans son ouvrage : « Les prisonniers d’État sont enlevés pour être conduits à Paris, malgré les représentations des membres des diverses autorités d’Orléans, des commissaires nationaux, des grands procurateurs de la Nation, et surtout du brave M. Garran de Coulon, qui, étant monté sur les marches du perron de l’église de Saint-Paterne, employa les menaces, les arguments les plus forts, et même les larmes, sans pouvoir émouvoir ces monstres, dont plusieurs levèrent leurs armes sur sa tête après l’avoir renversé sous les pieds des chevaux du premier chariot, qu’il s’efforçait d’arrêter. Ces malheureuses victimes sortirent d’Orléans accompagnés des cris de mort et des vociférations d’une partie du Peuple, qui, exalté par des forcenés de Paris, était sorti de son caractère. Fournier l’Américain, qui commandait les Parisiens, emporta avec lui 15 000 livres. Nous l’avons vu à la tête de cette bande d’assassins sortir de la ville monté sur un grand cheval gris, au cou duquel il avait pendu neuf croix de Saint-Louis et une de Malte, qu’il avait lui-même arrachées aux infortunés prisonniers qu’il conduisait sciemment à la boucherie »5. Toutefois à la sollicitation du maire de la ville d’Orléans, Lombard-Lachaux, également député du Loiret à la Convention nationale, les membres du Directoire du département du Loiret lui fournirent un certificat de bonne conduite, le 1er novembre : « Nous membre du directoire du département du Loiret, séant à Orléans, ainsi que les maire et officiers municipaux de ladite ville, certifions que le sieur Fournier, commandant-général du détachement de l’armée parisienne, ayant séjourné plusieurs jours dans cette ville, pour y garder les prisonniers d’État, s’y est conduit en homme d’honneur, a été très actif pour remplir ses devoirs, et que sa vigilance et son activité dans ladite ville, pendant son séjour, lui ont mérité les regrets de tous les citoyens dignes de la liberté et de l’égalité, en foi de quoi nous lui avons signé le présent, pour lui servir et valoir ce que de raison »6. Ami de Danton, soutenu par Roland, il entra en conflit avec Marat qui l’accusa d’avoir participé à l’insurrection avortée du 10 mars 1793. Antiesclavagiste, un comble pour un ancien propriétaire d’esclaves, il présenta au Directoire un plan de libération économique et sociale des Noirs. Il se maria le 29 avril 1796 à Verneuil, avec Marthe Fonvielle. Il vit misérablement, se plaint à la municipalité d’avoir perdu tous ses biens, le préjudice subit à Saint-Domingue lui ayant été remboursé… en assignats. Politiquement inquiété par ses actions révolutionnaires, suite à la dénonciation de Boissy d’Anglas en 1797, il est placé sous surveillance policière et participe en secret à des réseaux souterrains jacobins. Il ira jusqu’à lire une pétition devant le Corps législatif avec Jean-Joseph-Nicolas Niquille pour s’opposer à la nomination de Siéyès au siège de directeur (mai 1799). Sur une liste de citoyens dangereux à déporter, il est placé en surveillance sous le Consulat, subit des perquisitions et tente de se justifier par une brochure publiée le 18 janvier 1800, Massacre des prisonniers d’Orléans, Fournier, dit l’Américain, aux Français. Il doit se cacher après l’attentat de la rue Saint-Nicaise, inscrit sur une liste de proscription, il se cache à Villejuif et travaille comme jardinier. Il est finalement arrêté par la police et envoyé dans l’île d’Oléron puis déporté en Guyane. La colonie étant tombé entre les mains des Portugais en 1809, il retrouve sa liberté et obtînt de rentrer en France avec le gouverneur Victor Hugues. Il est placé en résidence surveillée à Auxerre. Toujours bouillant, il organise en juillet 1811 une émeute à l’occasion du rétablissement des droits réunis par Napoléon. Aussitôt arrêté, il est interné au fameux château d’If, celui du roman d’Alexandre Dumas, Le comte de Monte-Cristo. Il resta prisonnier jusqu’à la chute de Napoléon en 1815. Il est arrêté de nouveau sur une accusation de complot, le 1er novembre mais fut libéré à cause de son âge et de ses infirmités. En 1817, il demanda au roi Louis XVIII une pension… pour ses opinions royalistes. Ayant essuyé à refus, il réitéra ses demandes de remboursements pour ses pertes de Saint-Domingue à la Chambre des députés en 1822, puis à la duchesse d’Angoulême en 1823. Il mourut le 27 juillet 1825, son épouse fut ensuite admise à l’hôpital des Indigents.
Jean-Philippe Garran de Coulon, né le 19 avril 1748, à Saint-Maixent, dans les Deux-Sèvres, fils de Jean receveur des tailles et de Françoise Chameau. Il fit de belles études et devînt avocat au parlement de Paris, il se maria à Anne-Jeanne Barrengue (1780), il embrassa les idéaux de la Révolution, député suppléant pour le tiers état, aux États-Généraux (1789), membre de la Commune de Paris, chef du comité de recherche, il dénonça divers complots ou comploteurs puis fut élu au tribunal de Cassation (1791), puis à l’Assemblée législative, il fut accusateur public à la Haute-Cour d’Orléans, il laissa Fournier l’Américain prendre livraison de 52 prisonniers, lors de l’affaire d’Orléans et être conduits à leur mort presque certaine (31 août 1792), 44 des détenus furent massacrés en chemin à Versailles (9 septembre). Député de la Convention nationale du département du Loiret, il ne vota pas la mort du Roi (janvier 1793), membre du comité de législation, membre de la commission qui rédigea l’acte d’accusation de la reine Marie-Antoinette, il siégea avec les Montagnards, il se rallia aux thermidoriens (juillet 1794), milita pour l’abolition de l’esclavage, membre de la Société des Amis des Noirs et des Colonies, élu au Conseil des Cinq Cents pour la Loire-inférieure (1796), il se rallia à Bonaparte lors du coup d’État du 18 brumaire (9 novembre 1799), commandant de la Légion d’honnneur (14 juin 1804), membre du Sénat, comte de l’Empire (1808), grand officier de la Légion d’honneur (30 juin 1811), il adhéra à la déchéance de Napoléon Ier (1814), puis ne joua plus aucun rôle, il mourut à Paris, le 19 décembre 1816.
Claude-François Lazowski, né en 1752 à Lunéville, petit-fils d’un cuisinier de la cour du roi de Pologne Stanislas Leczinski, duc de Lorraine, gendre du roi Louis XV. Il s’enrôla après ses études dans un régiment de cavalerie français, mais mêlé à une sombre affaire, il quitta l’armée, obtînt la charge d’inspecteur général du commerce et des manufactures du Roi à Elbeuf (1782). Par la suite d’inspecteur des manufactures et du commerce à Soissons, puis inspecteur itinérant des manufactures et du commerce (1784), charge créée pour lui par le ministre Calonne. Il s’engagea sur la voie révolutionnaire, sa charge fut supprimée (1791), commandant des canonniers de la Garde nationale parisienne de la section des Gobelins (1792), un des organisateurs de la journée révolutionnaire du 20 juin, il participa à l’assaut du palais des Tuileries avec ses hommes (10 août), membre de la Commune insurrectionnelle, chargé d’escorter les prisonniers d’Orléans, ils furent massacrés à Versailles. Il fut par la suite mis en cause, sans que l’affaire puisse être démêlée. Membre du club des Jacobins, il fut attaqué par Vergniaud en même temps que Fournier l’Américain, pour sa participation à la journée révolutionnaire manquée du 10 mars. Membre du comité révolutionnaire, il fut logiquement acquitté par la Convention nationale. Il mourut à Issy, le 23 avril 1793. Sa mort de maladie fut toutefois mise en doute, pour ses ennemis girondins, suite de ses excès, pour d’autre empoisonné. Il fut procédé à une autopsie qui conclut à une mort naturelle. La Convention lui vota des funérailles publiques, l’organisation de la cérémonie fut confiée au conventionnel et peintre David, Robespierre prononça l’éloge funèbre, il fut inhumé le 28 avril. Il était marié depuis le 5 août, sa fille fut adoptée officiellement par la Commune de Paris, elle mourut célibataire à Paris, en 1849.
Louis-François-Alexandre de Sénas d’Orgeval de Jarente de La Bruyère, né en 1746, fils du marquis de Sénas et d’Orgeval. D’abord prêtre du diocèse de Vienne, vicaire général de Loménie de Brienne à Toulouse (1770), agent général du clergé de la province de Toulouse (1775), coadjuteur de l’évêque d’Orléans (1780), évêque d’Olba en Cilicie (1781), évêque d’Orléans (1788), il menait une vie fastueuse avec une rente colossale de 50 000 livres par an. Il se rallia toutefois à la Constitution civile du clergé (1790), et prêta le serment, mais refusa de donner l’investiture à de nouveaux évêques, puis dans la tourmente révolutionnaire envoya sa démission au pape Pie VI (1793). Il se maria par la suite, redonna sa démission lors du Consulat (1801), devînt bibliothécaire à l’Arsenal de Paris, puis professeur de collège, il mourut à Paris, le 30 octobre 1810.
Antoine-Claude-Nicolas Valdec de Lessart, né le 25 janvier 1741, au château de Mongenan, à Portets dans la Gironde, fils naturel du baron Antoine de Gascq, directeur de la compagnie des Indes. Il fut l’un des amis intimes de Jacques Necker et fut nommé contrôleur-général des finances (4 décembre 1790), ministre de l’Intérieur (25 janvier 1791), il fut bientôt attaqué de toute part comme modéré et mou, à la fois par les Girondins et les Montagnards, il ne put soutenir la pression et préféra démissionner (28 mai), mais fut encore nommé ministre de la Marine (septembre), ministre des Affaires étrangères (octobre), bientôt encore plus impopulaire car s’étant prononcé contre la guerre, il fut dénoncé par les Girondins, parti alors dominant voulant déclencher une guerre contre l’Autriche, arrêté et mis en accusation (10 mars), il fut retenu prisonnier et transféré à Orléans. Il fut compris dans le convoi de prisonniers envoyé à Paris sur ordre de Danton et devant répondre de crimes et de complot royaliste. Le convoi fut intercepté à Versailles par une foule hostile qui profitant de la non intervention de l’escorte nombreuse, le massacra ainsi que 43 autres prisonniers sur les 52 du convoi (9 septembre 1792).
Article de Laurent Brayard
1 Denis Lottin, Recherches historiques sur la ville d’Orléans, p. 355 et 356.
2 Denis Lottin, déjà cité, p. 359 et 360.
3 Denis Lottin, Recherches historiques sur la ville d’Orléans, tome 2, p. 19.
4 Denis Lottin, Recherches historiques sur la ville d’Orléans, p. 25.
5 Denis Lottin, déjà cité, p. 368.
6 Denis Lottin, Recherches historiques sur la ville d’Orléans, p. 429.